jeudi 27 janvier 2011

LOI C-32 : SE MOBILISER


LETTRE DES ÉCRIVAINS À LEURS DÉPUTÉS


Messieurs Jean-Pierre Blackburn, Denis Lebel et Robert Bouchard

Messieurs les ministres et députés de la Chambre des Communes

Le droit d’auteur étant reconnu comme un droit inaliénable, il nous importe de vous dire notre vive inquiétude à l’égard de la loi C-32 que pourrait adopter la Chambre des Communes. Ce projet de loi qui stipule de nombreuses exceptions, pour des raisons pédagogiques ou de libre accès aux œuvres, nous apparaît profondément injuste. Car il constitue une violation d’un des seuls droits dont disposent les auteurs, le droit de propriété intellectuelle sur leurs œuvres.

Désormais, on permettrait le droit de piller nos livres, d’utiliser nos textes numérisés sans aucune rétribution en autant que cela serve aux institutions scolaires ou à des fins personnelles. Pourtant « copier c’est voler », c’est ce que l’on nous a toujours appris. Qui, dans nos sociétés, parmi les professeurs, professionnels, infirmières, secrétaires, députés, journalistes, travailleurs d’usine ou de la construction, accepterait de ne pas être payé pour son travail ? Quelle compagnie pharmaceutique, aéronautique ou informatique accepterait que l’on pirate ses inventions ? Si les consommateurs paient déjà pour l’utilisation des logiciels, médicaments et Ipods, les redevances étant intégrées dans le prix du produit, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour les livres et les disques ?

Chaque travail mérite une compensation juste, ce qui est loin d’être le cas des écrivains. Bien peu de gens savent qu’un auteur reçoit à peine 10% des revenus tirés de la vente de ses livres, l’autre 90% étant versé aux éditeurs, libraires et distributeurs. Deux dollars pour un exemplaire d’une vingtaine de dollars, c’est bien maigre, d’autant plus que les ventes de livres se situent autour de 500 à 1000 exemplaires. Bien peu savent que les revenus littéraires moyens des écrivains publiant régulièrement oscillent autour de 3000 à 4000 dollars annuellement. Pas étonnant que la majorité doivent exercer un autre travail que celui relié à l’écriture pour assurer leur survie, les auteurs de best sellers étant, ici comme ailleurs, des exceptions. Pourtant l’industrie du livre au Québec génère des bénéfices annuels de l’ordre de 800 millions de dollars (Source : Observatoire de la culture et des communications du Québec - 2009). Sauf que sans créateurs, il n’y a ni maison d’édition, ni librairie, ni industrie du livre.

L’ensemble du milieu artistique et littéraire, dont l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) et l’Union des artistes, s’oppose à ce projet, car il y a péril en la demeure. Il existe déjà des mesures qui favorisent l’accessibilité des œuvres, tel le droit de prêt public, et des sociétés de gestion comme COPIBEC qui versent aux auteurs des compensations pour la reproduction d’extraits d’ouvrages servant à des fins pédagogiques. Il faut continuer à développer cette piste en autant qu’on lui accorde des budgets suffisants, ce qui est de moins en moins le cas. Il faut augmenter le nombre de bourses de création, adopter des mesures fiscales qui encouragent et reconnaissent cette création. Et profiter du vide juridique actuel sur le plan de la mise en ligne des oeuvres pour offrir une rétribution plus juste aux auteurs, de l’ordre de 50% sur chaque ouvrage, tel que le recommande l’UNEQ.

L’Assemblée nationale du Québec, son ministère de l’Éducation, également l’ensemble des partis d’opposition à Ottawa s’opposent à ce projet de loi ou proposent des amendements. Il faut tenir compte de ce consensus, ne serait-ce que pour des considérations politiques ou démocratiques. Il faut renoncer ou réviser ce projet qui ne peut avoir sa raison d’être que s’il vise véritablement à moderniser une loi d’auteur inadaptée aux nouvelles conditions de diffusion numérique.

Nos élus ont un rôle de porteurs et de protecteurs culturels, surtout dans un contexte de marchandisation et de mondialisation. Valoriser l’importance de la littérature, c’est reconnaître notre langue et notre culture, c’est favoriser l’éducation par la lecture comme préalable à l’apprentissage de l’expression écrite et parlée. Un des moteurs de notre développement.

Messieurs les députés et ministres du Saguenay-Lac-Saint-Jean, si pour des raisons politiques, vous ne pouvez vous opposer radicalement à ce projet gouvernemental, du moins exigez que l’on refasse ses devoirs, demandez un moratoire. Pourquoi pas former une coalition des partis sur le sujet ? Cela s’est déjà vu dans d’autres pays. En tant qu’écrivains, membres de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie, nous vous en serions éminemment reconnaissants.

Danielle Dubé, présidente

Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES)

28 janvier 2011

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire